« Arrêtez la musique » : ce soir-là, la voix de la guerre en Ukraine a retenti à Paris

Conscient

20 août 2025

Ce devait être un enregistrement de podcast live au coeur de Paris. Un rassemblement insouciant bourgeois bohème, un entre soi dans la joie et l’allégresse caniculaire. J’en suis ressorti bousculé, rattrapé par cette voix tremblante qui me rappelle à la réalité, de ce qui se joue en Ukraine, à Gaza et ailleurs.

Œuvre : Le Départ des poilus, août 1914 - Albert Herter (1926)

Bien avant le début du conflit Ukraine-Russie, je rencontrais ces deux ukrainiens dans une soirée arrosée parisienne, à l’improviste. Incrustés par on ne sait trop qui, ils cherchaient à communiquer, pour comprendre la culture française, mais peut-être aussi pour se rassurer. Parce qu’une chose était claire, malgré notre anglais hésitant et leur fort accent : ces deux hommes étaient terrifiés. Malgré tout, ils restaient catégorique : « Poutine n’osera jamais, je n’y crois pas. C’est trop dangereux, et l’OTAN nous protègera ». S’il se passe quelque chose, eux, fuiraient à l’étranger. J’échangeais de longues minutes avec eux, sur leur peur, leur culture, ô combien l’Ukraine était différente de la Russie mais considère cet « autre » comme un peu « sien ». 

Alors, ils m’ont convaincu. Il ne se passera rien. Quelques mois plus tard, ces ukrainiens étaient de retour dans leur chère patrie. De cette rencontre festive, je n’ai gardé aucun contact. Plus jamais n’ai-je eu de nouvelles. Entre-temps, Vladimir Poutine nous a donné tort. Où sont-ils aujourd’hui? Que font-ils ? Sont-ils morts ? Au front ? Ont-ils fui ?

Cette rencontre furtive avec ces hommes de l’est, fumeurs et grands consommateurs d’alcool, était jusqu’alors la seule chose qui me reliait de près ou de loin avec l’Ukraine. Jusqu’à ce jour d’été 2025.

24 juin 2025, Kiev sonne à la porte de Paris

Avec plus de 35 degrés au compteur, je me rends seul, comme souvent, dans le 20e arrondissement pour assister à l’enregistrement d’un podcast, celui de Derrick Gee plus précisément. J’ai eu la chance de le découvrir par hasard via un Reels Instagram quelques temps plus tôt. Il accompagnera l’intégralité de mes séances de sport et de travail les mois qui suivirent. 

Derrick est un créateur de contenu australien, DJ, curateur et surtout sacré passionné de musique. Et je n’utilise pas le terme de passionné à la légère. Chaque semaine, il partage une sélection pointue de musiques via son Patreon (plateforme communautaire en ligne), et surtout son podcast « exclusif » Solid Air. C’est dans plusieurs cadres intimistes, des petites salles, qu’il donnait rendez-vous à sa communauté dans quelques pays européens au début de l'été 2025, dont Paris.

La chaleur est crevante, de celles des serres, le public est cosmopolite (on parle exclusivement anglais), essentiellement de classe supérieure et très coquet. 

Cette fois, impossible de ne comprendre

Quelques 20 minutes passent, anecdotes après anecdotes, superbes découvertes et pépites musicales. Alors Derrick Gee joue Airstrike, un morceau de l’EP Enclave de l’artiste belge Nazar. Il y retranscrit les traumatismes physiques et psychologiques causés par la guerre, avec son lot de références au champ de bataille : des armes chargées, des tirs de mitrailleuse, des hélicoptères en vol stationnaire, des missiles qui s’abattent… Le tout dans une musique expérimentale dénuée de paroles. 

Sur le moment, difficile de comprendre tout ce qu’il se passe dans ce morceau sans explications, en tout cas pour la majorité d’entre nous. Par quelle magie cette salle parisienne plutôt privilégiée, bien qu’humide, se sentirait concernée ? Mais soudain, une voix étouffée retentit au premier rang : « S’il vous plaît, arrêtez ! »

Et la guerre est là, devant mes yeux

Décontenancé, le public ne comprend ce qu’il se passe dans un premier temps. En réalité, cette jeune femme a fuit l’Ukraine pour trouver une terre de paix, la France. Elle souffre d’un stress post-traumatique, et ces sons lui rappellent une réalité qu’elle pensait derrière elle. On le comprend bien assez tôt lorsque notre hôte, interpellé, fini par nous expliquer la situation. Pétrifié, privilégié, l’émotion me rattrape. De celle qui vous cloue la gorge et vous rappelle à vos contradictions et votre ingratitude. Le mur de l’illusion et de la dissonance cognitive se lève. La guerre est là, devant moi, en plein coeur de Paris.

« Notre époque nous donne la possibilité d’avoir une idée des conflits. Mais nous ne l’avons jamais vécue. »

Derrick Gee est de ces artistes qui vous dépassent. Ces artistes utiles, humbles, accessibles, naturels, et qui ont toujours le bon mot. Ses podcasts ne sont pas que des playlists, c’est aussi un moment intimiste. Je n’ai donc pas été surpris de sa gestion de crise impeccable. La musique s’est arrêtée, nous avons tous pris 5 minutes de pause. Et ses mots, certes simples, retentissent encore en moi aujourd’hui : « Notre époque nous donne la possibilité d’avoir une idée des conflits, des enjeux, du quotidien de la guerre. Mais nous ne l’avons jamais vécue. C’est ça, notre réalité. Nous ne serons jamais en mesure de comprendre la souffrance du quotidien, l’émigration forcée pour sauver sa propre vie. Pour un futur meilleur. »

Burkina Faso, Somalie, Soudan, Birmanie, Russie-Ukraine, Israël-Gaza, Nigéria, Syrie, Yémen… Tout semblait loin. Jusqu’à ce soir-là, où la réalité de la guerre est entrée dans Paris.

Œuvre : Le Départ des poilus, août 1914 - Albert Herter (1926)

Bien avant le début du conflit Ukraine-Russie, je rencontrais ces deux ukrainiens dans une soirée arrosée parisienne, à l’improviste. Incrustés par on ne sait trop qui, ils cherchaient à communiquer, pour comprendre la culture française, mais peut-être aussi pour se rassurer. Parce qu’une chose était claire, malgré notre anglais hésitant et leur fort accent : ces deux hommes étaient terrifiés. Malgré tout, ils restaient catégorique : « Poutine n’osera jamais, je n’y crois pas. C’est trop dangereux, et l’OTAN nous protègera ». S’il se passe quelque chose, eux, fuiraient à l’étranger. J’échangeais de longues minutes avec eux, sur leur peur, leur culture, ô combien l’Ukraine était différente de la Russie mais considère cet « autre » comme un peu « sien ». 

Alors, ils m’ont convaincu. Il ne se passera rien. Quelques mois plus tard, ces ukrainiens étaient de retour dans leur chère patrie. De cette rencontre festive, je n’ai gardé aucun contact. Plus jamais n’ai-je eu de nouvelles. Entre-temps, Vladimir Poutine nous a donné tort. Où sont-ils aujourd’hui? Que font-ils ? Sont-ils morts ? Au front ? Ont-ils fui ?

Cette rencontre furtive avec ces hommes de l’est, fumeurs et grands consommateurs d’alcool, était jusqu’alors la seule chose qui me reliait de près ou de loin avec l’Ukraine. Jusqu’à ce jour d’été 2025.

24 juin 2025, Kiev sonne à la porte de Paris

Avec plus de 35 degrés au compteur, je me rends seul, comme souvent, dans le 20e arrondissement pour assister à l’enregistrement d’un podcast, celui de Derrick Gee plus précisément. J’ai eu la chance de le découvrir par hasard via un Reels Instagram quelques temps plus tôt. Il accompagnera l’intégralité de mes séances de sport et de travail les mois qui suivirent. 

Derrick est un créateur de contenu australien, DJ, curateur et surtout sacré passionné de musique. Et je n’utilise pas le terme de passionné à la légère. Chaque semaine, il partage une sélection pointue de musiques via son Patreon (plateforme communautaire en ligne), et surtout son podcast « exclusif » Solid Air. C’est dans plusieurs cadres intimistes, des petites salles, qu’il donnait rendez-vous à sa communauté dans quelques pays européens au début de l'été 2025, dont Paris.

La chaleur est crevante, de celles des serres, le public est cosmopolite (on parle exclusivement anglais), essentiellement de classe supérieure et très coquet. 

Cette fois, impossible de ne comprendre

Quelques 20 minutes passent, anecdotes après anecdotes, superbes découvertes et pépites musicales. Alors Derrick Gee joue Airstrike, un morceau de l’EP Enclave de l’artiste belge Nazar. Il y retranscrit les traumatismes physiques et psychologiques causés par la guerre, avec son lot de références au champ de bataille : des armes chargées, des tirs de mitrailleuse, des hélicoptères en vol stationnaire, des missiles qui s’abattent… Le tout dans une musique expérimentale dénuée de paroles. 

Sur le moment, difficile de comprendre tout ce qu’il se passe dans ce morceau sans explications, en tout cas pour la majorité d’entre nous. Par quelle magie cette salle parisienne plutôt privilégiée, bien qu’humide, se sentirait concernée ? Mais soudain, une voix étouffée retentit au premier rang : « S’il vous plaît, arrêtez ! »

Et la guerre est là, devant mes yeux

Décontenancé, le public ne comprend ce qu’il se passe dans un premier temps. En réalité, cette jeune femme a fuit l’Ukraine pour trouver une terre de paix, la France. Elle souffre d’un stress post-traumatique, et ces sons lui rappellent une réalité qu’elle pensait derrière elle. On le comprend bien assez tôt lorsque notre hôte, interpellé, fini par nous expliquer la situation. Pétrifié, privilégié, l’émotion me rattrape. De celle qui vous cloue la gorge et vous rappelle à vos contradictions et votre ingratitude. Le mur de l’illusion et de la dissonance cognitive se lève. La guerre est là, devant moi, en plein coeur de Paris.

« Notre époque nous donne la possibilité d’avoir une idée des conflits. Mais nous ne l’avons jamais vécue. »

Derrick Gee est de ces artistes qui vous dépassent. Ces artistes utiles, humbles, accessibles, naturels, et qui ont toujours le bon mot. Ses podcasts ne sont pas que des playlists, c’est aussi un moment intimiste. Je n’ai donc pas été surpris de sa gestion de crise impeccable. La musique s’est arrêtée, nous avons tous pris 5 minutes de pause. Et ses mots, certes simples, retentissent encore en moi aujourd’hui : « Notre époque nous donne la possibilité d’avoir une idée des conflits, des enjeux, du quotidien de la guerre. Mais nous ne l’avons jamais vécue. C’est ça, notre réalité. Nous ne serons jamais en mesure de comprendre la souffrance du quotidien, l’émigration forcée pour sauver sa propre vie. Pour un futur meilleur. »

Burkina Faso, Somalie, Soudan, Birmanie, Russie-Ukraine, Israël-Gaza, Nigéria, Syrie, Yémen… Tout semblait loin. Jusqu’à ce soir-là, où la réalité de la guerre est entrée dans Paris.

Œuvre : Le Départ des poilus, août 1914 - Albert Herter (1926)

Bien avant le début du conflit Ukraine-Russie, je rencontrais ces deux ukrainiens dans une soirée arrosée parisienne, à l’improviste. Incrustés par on ne sait trop qui, ils cherchaient à communiquer, pour comprendre la culture française, mais peut-être aussi pour se rassurer. Parce qu’une chose était claire, malgré notre anglais hésitant et leur fort accent : ces deux hommes étaient terrifiés. Malgré tout, ils restaient catégorique : « Poutine n’osera jamais, je n’y crois pas. C’est trop dangereux, et l’OTAN nous protègera ». S’il se passe quelque chose, eux, fuiraient à l’étranger. J’échangeais de longues minutes avec eux, sur leur peur, leur culture, ô combien l’Ukraine était différente de la Russie mais considère cet « autre » comme un peu « sien ». 

Alors, ils m’ont convaincu. Il ne se passera rien. Quelques mois plus tard, ces ukrainiens étaient de retour dans leur chère patrie. De cette rencontre festive, je n’ai gardé aucun contact. Plus jamais n’ai-je eu de nouvelles. Entre-temps, Vladimir Poutine nous a donné tort. Où sont-ils aujourd’hui? Que font-ils ? Sont-ils morts ? Au front ? Ont-ils fui ?

Cette rencontre furtive avec ces hommes de l’est, fumeurs et grands consommateurs d’alcool, était jusqu’alors la seule chose qui me reliait de près ou de loin avec l’Ukraine. Jusqu’à ce jour d’été 2025.

24 juin 2025, Kiev sonne à la porte de Paris

Avec plus de 35 degrés au compteur, je me rends seul, comme souvent, dans le 20e arrondissement pour assister à l’enregistrement d’un podcast, celui de Derrick Gee plus précisément. J’ai eu la chance de le découvrir par hasard via un Reels Instagram quelques temps plus tôt. Il accompagnera l’intégralité de mes séances de sport et de travail les mois qui suivirent. 

Derrick est un créateur de contenu australien, DJ, curateur et surtout sacré passionné de musique. Et je n’utilise pas le terme de passionné à la légère. Chaque semaine, il partage une sélection pointue de musiques via son Patreon (plateforme communautaire en ligne), et surtout son podcast « exclusif » Solid Air. C’est dans plusieurs cadres intimistes, des petites salles, qu’il donnait rendez-vous à sa communauté dans quelques pays européens au début de l'été 2025, dont Paris.

La chaleur est crevante, de celles des serres, le public est cosmopolite (on parle exclusivement anglais), essentiellement de classe supérieure et très coquet. 

Cette fois, impossible de ne comprendre

Quelques 20 minutes passent, anecdotes après anecdotes, superbes découvertes et pépites musicales. Alors Derrick Gee joue Airstrike, un morceau de l’EP Enclave de l’artiste belge Nazar. Il y retranscrit les traumatismes physiques et psychologiques causés par la guerre, avec son lot de références au champ de bataille : des armes chargées, des tirs de mitrailleuse, des hélicoptères en vol stationnaire, des missiles qui s’abattent… Le tout dans une musique expérimentale dénuée de paroles. 

Sur le moment, difficile de comprendre tout ce qu’il se passe dans ce morceau sans explications, en tout cas pour la majorité d’entre nous. Par quelle magie cette salle parisienne plutôt privilégiée, bien qu’humide, se sentirait concernée ? Mais soudain, une voix étouffée retentit au premier rang : « S’il vous plaît, arrêtez ! »

Et la guerre est là, devant mes yeux

Décontenancé, le public ne comprend ce qu’il se passe dans un premier temps. En réalité, cette jeune femme a fuit l’Ukraine pour trouver une terre de paix, la France. Elle souffre d’un stress post-traumatique, et ces sons lui rappellent une réalité qu’elle pensait derrière elle. On le comprend bien assez tôt lorsque notre hôte, interpellé, fini par nous expliquer la situation. Pétrifié, privilégié, l’émotion me rattrape. De celle qui vous cloue la gorge et vous rappelle à vos contradictions et votre ingratitude. Le mur de l’illusion et de la dissonance cognitive se lève. La guerre est là, devant moi, en plein coeur de Paris.

« Notre époque nous donne la possibilité d’avoir une idée des conflits. Mais nous ne l’avons jamais vécue. »

Derrick Gee est de ces artistes qui vous dépassent. Ces artistes utiles, humbles, accessibles, naturels, et qui ont toujours le bon mot. Ses podcasts ne sont pas que des playlists, c’est aussi un moment intimiste. Je n’ai donc pas été surpris de sa gestion de crise impeccable. La musique s’est arrêtée, nous avons tous pris 5 minutes de pause. Et ses mots, certes simples, retentissent encore en moi aujourd’hui : « Notre époque nous donne la possibilité d’avoir une idée des conflits, des enjeux, du quotidien de la guerre. Mais nous ne l’avons jamais vécue. C’est ça, notre réalité. Nous ne serons jamais en mesure de comprendre la souffrance du quotidien, l’émigration forcée pour sauver sa propre vie. Pour un futur meilleur. »

Burkina Faso, Somalie, Soudan, Birmanie, Russie-Ukraine, Israël-Gaza, Nigéria, Syrie, Yémen… Tout semblait loin. Jusqu’à ce soir-là, où la réalité de la guerre est entrée dans Paris.

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