« Il va falloir que tu t’intéresses à la religion » : récit d’une (surprenante) rencontre musulmane

Conscient

2 juin 2025

« Il va falloir que tu t’intéresses à la religion » : récit d’une (surprenante) rencontre musulmane

Conscient

2 juin 2025

À son arrivée, celui qui devait être le simple date d’un samedi après-midi choisira comme première phrase : « Il va falloir que tu t’intéresses à la religion toi ». Chose à laquelle je répondais immédiatement, machinalement, « Oulah », avant de nous lancer dans une confrontation de deux spiritualités, plus qu’une simple discussion.

Sami (prénom modifié), algérien, la trentaine, m’avait tapé dans l’oeil sur une application de rencontre vouée à être supprimée. Entreprenant, flatteur, désireux de me rencontrer rapidement et continuer nos discussions autour d’un déjeuner ou d’un verre.

Je décide de l’amener dans un restaurant du quartier asiatique d’Arts et Métiers (Paris). Passé le bonjour, les quelques flatteries, et les politesses, il évoque la religion et mon besoin évident, impératif, de m’intéresser à l’Islam et son Coran. Le choix du premier sujet de conversation a de quoi décontenancer. Quelle idée lui est passé par la tête pour lancer un tel débat ? Quelle fulgurance de m’imposer cette vision dès son arrivée ? 

Cette religion est loin de m’être étrangère, j’ai de quoi damage control et savoir me taire face à l’obstination et la certitude de mon interlocuteur. Mes quelques années de dating ont mis sur ma route de nombreux hommes homosexuels musulmans désireux de conserver leur foi et leur tradition. J’ai partagé la vie de l’un d’entre eux près de deux ans, qui a décidé de s’éloigner finalement de l’Islam, feignant d’y rester fidèle auprès de ses proches. Mon « Oulah » de recul s’est rapidement transformé en une écoute active — qui tournera bientôt à la stupéfaction.

« Si tu n’as pas peur de Dieu, comment peux-tu être un homme bon ? »

Sami ne boit pas d’alcool. Sami n’insulte personne, ni devant la personne, ni derrière. Sami est bienveillant. Sami ne vole pas. Sami sourit à chaque personne avec qui il interagit et donne le sourire. De bien belles valeurs, qui sont également les miennes. Sauf que les siennes sont dictées, je cite, par « la peur de Dieu ». Pourquoi pas. La suite de la conversation aura un goût de fort déjà-vu. Énumérons. L’anormalité de l’homosexualité et ses excuses perpétuelles à Allah, une homosexualité soit-disant absente du règne animal. Le bonheur des animaux d’être au service de l’homme, de voir leur gorge tranchée et saignée… Circulez, il n’y a rien à voir.

On apprendra par la suite que Sami fume, adore « pécho des mecs en soirée », prend la PREP en continu puisqu’il « adore baiser quand il a chaud et quand il a envie ». Il n’est pas toujours si irréprochable qu’il le laisse croire — même s’il reste, par bien des aspects, un homme bon. Rien de surprenant, au fond. Chaque être humain se débat avec ses paradoxes, ses valeurs affichées et ses failles intimes. Mais il y avait dans cette tension — entre rigidité morale et liberté assumée — quelque chose de fascinant. Mais de dérangeant, aussi, pour tout esprit cartésien.

Être son propre Dieu

Désormais fasciné, d’une manière notablement malsaine et presque voyeuriste, par cette manière de penser et de vivre, je reste obsédé par son propos : « Si tu n’as pas peur de Dieu, comment peux-tu être un homme bon ? ».

Interrogé sur mon véganisme, sur ma gentillesse, ma politesse et mon respect des autres coutumes, je lui répondais par ces mots qui, chez moi, font foi : « chaîne de valeurs ». Ma personne seule, au-delà de la justice française, suffit à me faire peur. Bien sûr, cette chaîne de valeurs, de respect et de stoïcisme m’ont été inculqués par mes parents (vite fait), eux-même athées, eux-même éduqués par leurs parents, toujours plus ou moins athées, eux-même éduqués par leurs parents, finalement chrétiens. Le peu de principes hérités de mes parents sont donc d’origine judéo-chrétienne. Comme de nombreuses autres familles françaises, le lien entre la religion et la bonté a donc disparu depuis deux ou trois générations. Chez certains, cette peur de Dieu est devenue la peur d’autrui, de l’embarras, de l’isolement, pour d’autres la peur de soi comme un système automatique de sursis.

Cette phrase de Sami me hante. Et me pousse à réfléchir à ce qui, chez moi, tient lieu de guide. Ce n’est ni la religion, ni un Dieu juge — mais un système intérieur, hérité mais surtout bricolé. Jacqueline Kelen distingue l’ego, épris de pouvoir et destructeur, le moi, fait d’héritage humain et de conditionnements, et le je, qui affirme sa différence. Seul ce dernier serait capable d’éveil et de liberté. Sami, lui, obéit au « moi » et à Dieu. Mais obéit-il librement ? Par foi ou par peur ?

Image à la Une : Odile Redon - To Edgar Poe

Sami (prénom modifié), algérien, la trentaine, m’avait tapé dans l’oeil sur une application de rencontre vouée à être supprimée. Entreprenant, flatteur, désireux de me rencontrer rapidement et continuer nos discussions autour d’un déjeuner ou d’un verre.

Je décide de l’amener dans un restaurant du quartier asiatique d’Arts et Métiers (Paris). Passé le bonjour, les quelques flatteries, et les politesses, il évoque la religion et mon besoin évident, impératif, de m’intéresser à l’Islam et son Coran. Le choix du premier sujet de conversation a de quoi décontenancer. Quelle idée lui est passé par la tête pour lancer un tel débat ? Quelle fulgurance de m’imposer cette vision dès son arrivée ? 

Cette religion est loin de m’être étrangère, j’ai de quoi damage control et savoir me taire face à l’obstination et la certitude de mon interlocuteur. Mes quelques années de dating ont mis sur ma route de nombreux hommes homosexuels musulmans désireux de conserver leur foi et leur tradition. J’ai partagé la vie de l’un d’entre eux près de deux ans, qui a décidé de s’éloigner finalement de l’Islam, feignant d’y rester fidèle auprès de ses proches. Mon « Oulah » de recul s’est rapidement transformé en une écoute active — qui tournera bientôt à la stupéfaction.

« Si tu n’as pas peur de Dieu, comment peux-tu être un homme bon ? »

Sami ne boit pas d’alcool. Sami n’insulte personne, ni devant la personne, ni derrière. Sami est bienveillant. Sami ne vole pas. Sami sourit à chaque personne avec qui il interagit et donne le sourire. De bien belles valeurs, qui sont également les miennes. Sauf que les siennes sont dictées, je cite, par « la peur de Dieu ». Pourquoi pas. La suite de la conversation aura un goût de fort déjà-vu. Énumérons. L’anormalité de l’homosexualité et ses excuses perpétuelles à Allah, une homosexualité soit-disant absente du règne animal. Le bonheur des animaux d’être au service de l’homme, de voir leur gorge tranchée et saignée… Circulez, il n’y a rien à voir.

On apprendra par la suite que Sami fume, adore « pécho des mecs en soirée », prend la PREP en continu puisqu’il « adore baiser quand il a chaud et quand il a envie ». Il n’est pas toujours si irréprochable qu’il le laisse croire — même s’il reste, par bien des aspects, un homme bon. Rien de surprenant, au fond. Chaque être humain se débat avec ses paradoxes, ses valeurs affichées et ses failles intimes. Mais il y avait dans cette tension — entre rigidité morale et liberté assumée — quelque chose de fascinant. Mais de dérangeant, aussi, pour tout esprit cartésien.

Être son propre Dieu

Désormais fasciné, d’une manière notablement malsaine et presque voyeuriste, par cette manière de penser et de vivre, je reste obsédé par son propos : « Si tu n’as pas peur de Dieu, comment peux-tu être un homme bon ? ».

Interrogé sur mon véganisme, sur ma gentillesse, ma politesse et mon respect des autres coutumes, je lui répondais par ces mots qui, chez moi, font foi : « chaîne de valeurs ». Ma personne seule, au-delà de la justice française, suffit à me faire peur. Bien sûr, cette chaîne de valeurs, de respect et de stoïcisme m’ont été inculqués par mes parents (vite fait), eux-même athées, eux-même éduqués par leurs parents, toujours plus ou moins athées, eux-même éduqués par leurs parents, finalement chrétiens. Le peu de principes hérités de mes parents sont donc d’origine judéo-chrétienne. Comme de nombreuses autres familles françaises, le lien entre la religion et la bonté a donc disparu depuis deux ou trois générations. Chez certains, cette peur de Dieu est devenue la peur d’autrui, de l’embarras, de l’isolement, pour d’autres la peur de soi comme un système automatique de sursis.

Cette phrase de Sami me hante. Et me pousse à réfléchir à ce qui, chez moi, tient lieu de guide. Ce n’est ni la religion, ni un Dieu juge — mais un système intérieur, hérité mais surtout bricolé. Jacqueline Kelen distingue l’ego, épris de pouvoir et destructeur, le moi, fait d’héritage humain et de conditionnements, et le je, qui affirme sa différence. Seul ce dernier serait capable d’éveil et de liberté. Sami, lui, obéit au « moi » et à Dieu. Mais obéit-il librement ? Par foi ou par peur ?

Image à la Une : Odile Redon - To Edgar Poe

Sami (prénom modifié), algérien, la trentaine, m’avait tapé dans l’oeil sur une application de rencontre vouée à être supprimée. Entreprenant, flatteur, désireux de me rencontrer rapidement et continuer nos discussions autour d’un déjeuner ou d’un verre.

Je décide de l’amener dans un restaurant du quartier asiatique d’Arts et Métiers (Paris). Passé le bonjour, les quelques flatteries, et les politesses, il évoque la religion et mon besoin évident, impératif, de m’intéresser à l’Islam et son Coran. Le choix du premier sujet de conversation a de quoi décontenancer. Quelle idée lui est passé par la tête pour lancer un tel débat ? Quelle fulgurance de m’imposer cette vision dès son arrivée ? 

Cette religion est loin de m’être étrangère, j’ai de quoi damage control et savoir me taire face à l’obstination et la certitude de mon interlocuteur. Mes quelques années de dating ont mis sur ma route de nombreux hommes homosexuels musulmans désireux de conserver leur foi et leur tradition. J’ai partagé la vie de l’un d’entre eux près de deux ans, qui a décidé de s’éloigner finalement de l’Islam, feignant d’y rester fidèle auprès de ses proches. Mon « Oulah » de recul s’est rapidement transformé en une écoute active — qui tournera bientôt à la stupéfaction.

« Si tu n’as pas peur de Dieu, comment peux-tu être un homme bon ? »

Sami ne boit pas d’alcool. Sami n’insulte personne, ni devant la personne, ni derrière. Sami est bienveillant. Sami ne vole pas. Sami sourit à chaque personne avec qui il interagit et donne le sourire. De bien belles valeurs, qui sont également les miennes. Sauf que les siennes sont dictées, je cite, par « la peur de Dieu ». Pourquoi pas. La suite de la conversation aura un goût de fort déjà-vu. Énumérons. L’anormalité de l’homosexualité et ses excuses perpétuelles à Allah, une homosexualité soit-disant absente du règne animal. Le bonheur des animaux d’être au service de l’homme, de voir leur gorge tranchée et saignée… Circulez, il n’y a rien à voir.

On apprendra par la suite que Sami fume, adore « pécho des mecs en soirée », prend la PREP en continu puisqu’il « adore baiser quand il a chaud et quand il a envie ». Il n’est pas toujours si irréprochable qu’il le laisse croire — même s’il reste, par bien des aspects, un homme bon. Rien de surprenant, au fond. Chaque être humain se débat avec ses paradoxes, ses valeurs affichées et ses failles intimes. Mais il y avait dans cette tension — entre rigidité morale et liberté assumée — quelque chose de fascinant. Mais de dérangeant, aussi, pour tout esprit cartésien.

Être son propre Dieu

Désormais fasciné, d’une manière notablement malsaine et presque voyeuriste, par cette manière de penser et de vivre, je reste obsédé par son propos : « Si tu n’as pas peur de Dieu, comment peux-tu être un homme bon ? ».

Interrogé sur mon véganisme, sur ma gentillesse, ma politesse et mon respect des autres coutumes, je lui répondais par ces mots qui, chez moi, font foi : « chaîne de valeurs ». Ma personne seule, au-delà de la justice française, suffit à me faire peur. Bien sûr, cette chaîne de valeurs, de respect et de stoïcisme m’ont été inculqués par mes parents (vite fait), eux-même athées, eux-même éduqués par leurs parents, toujours plus ou moins athées, eux-même éduqués par leurs parents, finalement chrétiens. Le peu de principes hérités de mes parents sont donc d’origine judéo-chrétienne. Comme de nombreuses autres familles françaises, le lien entre la religion et la bonté a donc disparu depuis deux ou trois générations. Chez certains, cette peur de Dieu est devenue la peur d’autrui, de l’embarras, de l’isolement, pour d’autres la peur de soi comme un système automatique de sursis.

Cette phrase de Sami me hante. Et me pousse à réfléchir à ce qui, chez moi, tient lieu de guide. Ce n’est ni la religion, ni un Dieu juge — mais un système intérieur, hérité mais surtout bricolé. Jacqueline Kelen distingue l’ego, épris de pouvoir et destructeur, le moi, fait d’héritage humain et de conditionnements, et le je, qui affirme sa différence. Seul ce dernier serait capable d’éveil et de liberté. Sami, lui, obéit au « moi » et à Dieu. Mais obéit-il librement ? Par foi ou par peur ?

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